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Affiche El presidente

El presidente

Un Film de Santiago Mitre
Avec Ricardo Darín, Dolores Fonzi, Erica Rivas, Elena Anaya
Drame | Espagne, Argentine, france | 2017 | 1h54
5 Nominations pour un Certain Regard à Cannes 2017
La Cordillère
C'est le troisième long-métrage de Santiago Mitre (né à Buenos Aires en 1980). Après El Estudiante (2011, Prix spécial du Jury et Prix du Cinéaste du Présent au Festival de Locarno) et Paulina (2015, Grand Prix de la Semaine de la Critique à Cannes, Prix FIPRESCI), il investit le territoire de l'entre-deux depuis l'Atelier de la Cinéfondation en 2016. La réalisation coécrite avec Mariano Llinás filme des puissants au sommet de la Cordillère des Andes. Le film a été sélectionné à « Un Certain Regard » au Festival de Cannes 2017.

Blanco, « un hombre como vos »

El Presidente, interprété par le prolifique Ricardo Darín, a l'air d'un homme comme vous et moi, ni plus, ni moins. Il est d'image populaire et de politique populiste. Hernán Blanco, fraîchement élu président d'Argentine et évoluant déjà brillamment dans une Casa Rosada (résidence officielle de la présidence argentine et siège du gouvernement à Buenos Aires) ouverte au tournage d'un jour de Santiago Mitre, débute sa carrière par un tour de maître : il participe à un sommet au Chili pour débattre de la création d'une alliance pétrolière du Sud. Son équipe aux allures de savants fous l'accompagne dans ce lieu atypique, hivernal et ancestral. Sur le ring du débat se dressent des hommes et des femmes – que nous, Européens, ne parvenons pas encore à cerner –. Ce sont les décideurs de l'Amérique du Sud, incarnés par les hauts noms du cinéma et du théâtre des pays concernés comme Daniel Giménez Cacho pour Sebastián Sastre (Président du Mexique), Leonardo Franco pour Oliveiro Prette (Président du Brésil), Paulina García pour Paula Scherson (Présidente du Chili), Rafael Alfaro pour Preysler (Président du Paraguay). Ricardo Darín était attendu pour ce rôle, non seulement par le réalisateur mais aussi pour son public. Il nous épate une fois de plus. Un nouveau rôle, un nouveau défi, un autre mystère percé par l'acteur. Rien à redire sur sa composition. Seul petit bémol au portrait de l'homme froid et imposteur : nous le sentons presque trop "guidé". Voici donc une question qui nous interroge dès la sortie de la salle de projection: un acteur mis en scène au centimètre près sert-il pleinement son personnage ?

Un thriller psycho-enneigé

La frontière entre l'Argentine et le Chili, sur la route de Los Caracoles, au-delà de Bariloche et bien avant l'éblouissante baie de Valparaiso, s'impose comme un haïku des lieux de tournage extrême. La Cordillera, comme l'indique le titre original, enneige les cris, achève les discours puants, étouffe les corrompus, gèle les alliances infernales, enterre les vivants. Au sommet des Présidents, la relation intime entre Blanco et sa fille Marina (Dolores Fonzi, vue dans Paulina de Santiago Mitre ou Truman de Cesc Gay par exemple) qui complète point par point la fable glauque des puissants vampires politiciens, tellement faux qu'ils suent la crédulité. L'Amérique, continent victime de ces antihéros, tombe dans la vieille mécanique du pouvoir comme Marina efface ces souvenirs, mais pour un temps seulement. Le cinéma est là pour faire ressusciter la vérité, les dénoncer toutes et tous, pour panser les veines ouvertes de l'Amérique (cf. Las venas abiertas de América latina de Eduardo Galeano). On pense à Morse de Tomas Alfredson puisqu'ils jouent tous aux vampires, aux enfants mal élevés devenus des hommes et des femmes politiques de la pire espèce. Le contrepoint ondule comme la tempête de neige, Marina se souvient grâce à une séance d'hypnose hitchcockienne ; elle accuse. L'imposture est menacée par le maître de cérémonie, Alfredo Castro (Mariana -Los perros de Marcela Said, 2017, El Club de Pablo Larrain, 2015), le grand hypnotiseur nommé Desiderio García. Il permet de faire affleurer la part maudite des destructeurs de paix. Le dialogue entre Christian Slater (dans le rôle de Dereck McKinley) et Ricardo Darín, en anglais, nous écarquille les yeux. Une seule scène pour un huis-clos incisif entre celui qui se disait blanc de tout péché et le diable personnifié, qui met à sec un plan de corruption mené par les Etats-Unis et négocié par les grands de l'Amérique du Sud. En parallèle se profile la destructuration de la sphère familiale dangereusement programmée qui maintiendra alors Mr. Blanco uniquement au rang du Faust de Murnau.

Une performance esthétique

Le style est osé, personnel et riche. Le regard de Santiago Mitre nous semble encore vierge des dogmes des gros et vulgaires films. Les moyens sont conséquents ici aussi mais les plans et le montage renvoyés restent frais et imprévisibles. Nous saluons les prises de risque de Javier Juliá (Relatos salvajes de Damián Szifron, 2014). Une introduction dans la Casa Rosada nous file le sourire aux lèvres, comme pour Birdman de Alejandro G. Iñárritu, par exemple. Il réussit à nous balader dans des lieux habituellement interdits, actuellement encore populistes, jadis dictatoriaux et toujours politiques. Le cinéma pousse une fois de plus des portes closes. S'ensuivent des plans majestueux de la Cordillère, de l'hôtel aux lignes architecturales et aux vitres-miroirs multiplicatrices du jeu des Trônes. Atmosphère réussie et ivresse de l'argument atteinte sur cette destabilisante route sinueuse qu'est le cinéma engagé. Aussi, les acteurs deviennent-ils les statues de neige sculptées par les crimes et châtiments de leur personnage, tant sur la sphère politique que sur la sphère privée. La danse des révélations s'accélère sans jamais chuter dans l'immobilité. La musique autonome de Alberto Iglesias, orchestre le souffle de la narration lorsqu'elle se fait non plus en suspens mais hermétique, comme pour compenser une prise de risque parfois trop peu assurée.

Santiago Mitre signe un film à décrypter depuis son continent et à apprécier pour les risques engagés. El Presidente est un projet de grand cinéma d'auteur pour une large diffusion et ce malgré des éléments narratifs peut-être un brin emmaillotés. Belle sinuosité que cet exercice de style interprété par les plus grands d'Amérique latine.

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