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Où l’on reparle d’un film d’animation de l’époque franquiste…
Pourquoi un destin lamentable ? Parce que le film subit deux mésaventures qui se combinèrent : tout d'abord, il sortit en même temps que le film de Walt Disney (1950), le géant américain empêchant par voie judiciaire son « concurrent » espagnol de se servir du même titre que lui, l'obligeant à recourir à l'expression emblématique des contes de fées Il était une fois, peu explicite et donc moins commerciale. Nul besoin de dire que le succès Disney accapara les écrans du monde entier, éclipsant toute velléité d'un pays aux moyens de diffusion réduits.
La deuxième raison de l’échec fut politique : le régime franquiste ne pouvait tolérer le fort particularisme régional catalan, qui s’exprimait, de façon singulière, par la voie (et la voix) d’un dessin animé 1, notamment à travers la musique du Cuarteto Vocal Orpheus et la chorégraphie du ballet catalan de l’Esbart Verdaguer. Il ne lui fournit aucun appui et laissa mourir le film comme l’entreprise.
Pourtant, ce film est un petit bijou qui eut le mérite de conjuguer les talents d’artistes populaires et de l’élite de la culture barcelonaise d’alors 2. Dans la première catégorie, Escobar reçut carte blanche pour pimenter le conte en ajoutant des personnages et des anecdotes issus de sa fertile imagination : ainsi, le numéro des chevaux danseurs quand Cendrillon part au bal donné au château, ou celui, très drôle, des pages de Cendrillon déguisés en fantômes pour effrayer la belle-mère et les belles-sœurs de l’héroïne. Dans la deuxième catégorie, le critique d’art Alexandre Cirici Pellicer fournit un travail minutieux et considérable de création des décors et costumes des personnages, pour une intrigue qu’il place à la Renaissance, une Renaissance dans la continuité du Quattrocento, et qui s’inspire des enluminures des Très Riches Heures du Duc de Berry et des tableaux des maîtres florentins, pour ne donner que deux exemples. Une esthétique méditerranéenne, à l’opposé de celle de Disney, septentrionale, héritée de Grimm, d’Andersen et des illustrateurs anglais.
Jusqu'à l'an dernier, la Cendrillon espagnole avait perdu ses couleurs, et seuls deux exemplaires en noir et blanc dormaient, telle la Belle au Bois dormant attendant son Prince charmant, dans les tiroirs des Cinémathèques de Madrid et de Barcelone. Mais un processus de restauration, dont l'artisan est Luciano Berriatúa, est à présent en cours, très lent, et sûrement fragilisé par la crise économique que connaît le pays. De plus, une jeune et talentueuse animatrice, María Pages, passionnée par l'aventure hors pair de ces bouts de celluloïd, dans une Catalogne qui revendique de plus en plus fort son patrimoine longtemps ignoré ou méprisé, tourne un documentaire, interviewant les derniers témoins vivants du tournage (Manuel Cubeles) ou leurs descendants (Jaume Baguñà, Teresa Ferran, Montserrat Escobar), les historiens d'art et universitaires s'étant penchés sur la question (Jordi Artigas, Françoise Heitz), retrouvant dans les archives de précieux témoignages des disparus (Josep Escobar). Soyons optimistes et gageons sur une double réussite : la restauration de Érase una vez et le succès du film de María...
1 Certains films d'animation revendiquent avec audace la liberté des créateurs : en France, on se souvient de l'emblématique Le Roi et l'Oiseau (Paul Grimault, 1952, avec des textes de Jacques Prévert), adaptation du conte d'Andersen, La Bergère et le Ramoneur.
2 Pour plus de détails, voir Françoise Heitz, Le cinéma d'animation en Espagne (1942-1950), Arras, Artois Presses Université, 2007.